Architecte et scénographe de formation, c'est naturellement un sujet
qui me passionne depuis longtemps, et qui ne cesse d'impressionner mon
travail de dessinateur. Après Pierrot et son ambiance campagnarde, que
j'avais campée de façon assez sommaire; j'ai eu envie d'évoluer, par le
biais du dessin, dans des lieux plus prégnants, plus incarnés et
réalistes - des endroits avec suffisamment d'épaisseur pour, parfois,
voler la vedette au personnage principal.
On parcourt cette "idée de ville" guidé par une bicyclette. Le vélo est
un média intéressant pour appréhender l'urbain (en voyage, dessiner les
vélos en ville ou sillonner les quartiers en pédalant reste une
expérience singulière).
C'est un vélo parmi d'autres, pas question d'en faire un "super vélo",
un objet d'exception. On n'assiste pas dans ce film au destin
extraordinaire d'une machine hors du commun, mais plutôt à des tranches
de vie de personnes (pus personnes que personnages !) dont on ne saura
en définitive pas grand chose.
L'esthétique est celle de l'extrait, de l'effleurement. Jamais la
caméra ne s'attache durablement à une vie ou à un lieu, on croise des
gens un peu au hasard, parfois 10 minutes, parfois plusieurs semaines.
Comment ?
Pour commencer, dessiner des vélos en ville.
Au gré des rencontres, apprendre les formes, les détails, les bricolages...
De cette manière je collecte des mini-scènes issues d'un décor
quotidien, chacune avec son ambiance singulière... L'intégralité de ce
matériel ne pourra pas "rentrer" dans le court métrage, c'est pour cela
que cette phase me fait penser au travail d'un documentariste: D'abord
on engrange, sachant qu'on fera le tri dans un second temps.
De cette façon on autorise des éléments nouveaux et inattendus à venir
se nicher dans l'histoire: Tout au long du travail il me semble
important de laisser place à l'imprévu, à l'accident.
Parallèlement à la "glânerie", il y a l'écriture de l'histoire. Dans le
cas du Vélo d'Adèle, c'est plus un cadre qu'un fil narratif continu. Le
film est une succession de tableaux, avec un changement chaque fois que
le vélo passe en de nouvelles mains. L'histoire est donc découpée en
tranches nettes, passant sans transition d'un personnage à l'autre.
Attitudes, lieux, pratiques diffèrent à chaque tableau. Le vélo ne
change pourtant pas, les usages si. Sans véritable intrigue, le film
ressemble donc à un carnet de croquis.
Tout au long du film, les sons ambiants sont ceux d'une ville
contemporaine, avec ses bruits, ses occurrences imprévisibles...
L'action est accompagnée au piano électrique (Fender Rhodes !), comme
on le faisait avec les films muets, mais de façon assez discrète, juste
pour donner davantage de d'unité aux tableaux qui se succèdent.
Deux exceptions sonores:
Dans les décors enneigés, la musique est lente, avec de larges nappes
sonores, comme des brumes qui flottent, dont les allées-venues rendent
plus étranges l'atmosphère de la ville déserte.
Pour Adèle, une musique beaucoup plus rythmée accompagne la jeune
fille, alors qu'elle traverse la ville comme une flèche. Cette musique
est jouée très forte, elle domine les autres sons comme si on
l'écoutait dans le walkman d'Adèle.
Le rythme soutenu et le volume fort sont interrompus d'un coup par la dernière chute, dont le vélo ne se relèvera pas.
Suivra la long "plan séquence" du générique de fin, pendant lequel les sons urbains alentours referont surface peu à peu.